L’architecture nobiliaire à Bayangam : produit de l’environnement et expression du pouvoir

Josué Modjom Tchuenchié

Cadres de portes d’un abri protocolaire (ko) de dignitaires au sein de la chefferie Bayangam. Expressions de l’art de cour, ces cadres du vestibule d’entrée sont composés d’un linteau, d’un seuil et de deux piédroits comportant des représentations zoomorphes et anthropomorphes, taillées dans un ligneux séculaire. Ces figurations humaines et fresques animales, dont le droit d’usage relevait de l’avis exclusif du Fo, sont des symboles du pouvoir au sein de la chefferie. En outre, ils témoignent des liens intimes établis entre l’homme et le monde animal. Ces représentations ont une valeur historique et pédagogique dans les sociétés de tradition orale comme Bayangam, où, à défaut d’expression écrite, on signifiait des principes partagés à base de formes et de signes. Leur valeur politique résulte de l’ordre coutumier qui régit l’organisation sociale, inégalitaire et hiérarchisée.

Introduction

Fondée vers le XVIIe siècle, la chefferie Bayangam est l’une des principautés indépendantes qui relève de l’ensemble bamiléké. L’extrême richesse de son patrimoine culturel est avérée. Bien que peu connue, elle se révèle progressivement dans toute sa diversité (Maret 2001, p. 21). L’architecture propre à un peuple, à un territoire et à une époque, en constitue un pan essentiel. Elle dévoile des plans de construction, des techniques ainsi que des décors ouvragés. Cette architecture fait appel aux matériaux disponibles sur place, lesquels évoluent avec le temps. Elle est pour chaque peuple un élément culturel significatif, attaché à un territoire, auquel la population accorde une importante valeur spirituelle et symbolique (Barillet 2006, p. 11). Cette architecture dynamique fut successivement marquée par les mélanges stylistiques résultant des échanges entre chefferies, par les influences des cultures exogènes et de la civilisation occidentale à partir de 1912, et par les conséquences de la pression démographique et de la modernité.

Cette étude vise à analyser la démarche environnementale et à interroger l’ancrage politique de l’architecture nobiliaire bayangam. Ainsi, dans quelle mesure l’art de la construction et de l’aménagement bayangam s’enracine-t-il dans un cadre écologique et constitue-t-il un instrument de pouvoir dans la société traditionnelle ? Afin d’apporter des éléments de réponse, nous allons décrire les composants de cette architecture singulière en l’inscrivant dans sa démarche environnementale et dans ses évolutions historiques, en soulignant combien elle est un marqueur de la hiérarchie sociale. Sur le plan méthodologique, l’étude adopte une perspective diachronique, et s’appuie sur les données relevant de la géographie, de la littérature et de l’anthropologie, mais également sur des sources orales et iconographiques.   

L’architecture vernaculaire bayangam : de la démarche environnementale à l’aménagement du territoire

L’aménagement des espaces et les modèles architecturaux reflètent souvent les cosmogonies et les philosophies propres aux sociétés qui les ont créés. Ils expriment la manière dont une société donne sens au monde. Le peuple bayangam a su développer un art diversifié qui a évolué au contact des cultures africaines et occidentales, dont témoigne notamment le bâti. Il constitue un aspect majeur de l’aménagement du territoire et illustre les politiques endogènes d’occupation de l’espace.

Le relief du plateau bamiléké a inspiré une conception de l’espace reposant sur deux repères : le haut et le bas. Pour Morin, « l’inscription de l’habitat sur les versants traduit ici […] la position sociale des individus […] Plus on réside en altitude moins on occupe un rang élevé dans la chefferie » (Morin 1996, p.72). À Bayangam, la résidence du chef par exemple, est située en contrebas et bordée d’un bois sacré. L’architecture vernaculaire bayangam procède d’une démarche environnementale. Le couvert végétal de cette chefferie est analogue à celui des autres chefferies Grassfields. Kouosseu et Simo indiquent à cet effet que, « before the arrival of the europeans […] the natives had a buiding style which was symetrical to their environment and culture, mainly done with the use of thatch, bamboo and mud » (Kouosseu et Simo 2021, p. 146). Des spécialistes tels que Réné Letouzey (1968), Martin Kueté (2000), ou Jean-Paul Notué (2005), évoquent un milieu composé de forêts biafréennes à césalpiniacées. La forêt équatoriale primaire a progressivement disparu en raison de l’essor démographique et de la quête de nouvelles terres cultivables.

Le contact entre les bayangam et leur milieu de vie s’est avéré fructueux car ils y ont puisé diverses essences issues d’écosystèmes différents pour créer une architecture originale. Des essences, surtout ligneuses, étaient sélectionnées suivant leurs caractéristiques mécaniques et leur capacité à résister aux agents pathogènes. Le Rafia farinifera, le Markhamia lutea, le Markhamiatomentosa, le Spathodea campanulata, le Cordia Africana, le Cordia myxa etle Cordia platythrsa, Harungana madagascarienis, le Bridelia ferruginea sont quelques essences privilégiées par les bayangam pour leurs constructions. Le Rafia farinifera, est « le plus grand matériau d’œuvre des constructions » (Lecoq : 1998, 28), car il représente plus de 60% des matériaux utilisés dans l’architecture traditionnelle (Modjom 2015, p. 24). Très polyvalent, le raphia joue un grand rôle dans la civilisation bamiléké (Dongmo 1981, p. 21). Raymond Lecoq, décrivant le plateau Bamiléké, le relève lorsqu’il écrit :

Ces hauts reliefs sont coupés de bas-fonds peuplés de palmiers raphias très caractéristiques de cette région et qu’exploite au maximum le paysan Bamiléké qui en tire sa boisson, ses matériaux de construction et son mobilier (Lecoq 1998, pp. 25-28).

Perçu comme une « tige providentielle » (Beguin 1952, p. 87), le bambou de raphia était utilisé dans l’édification des murs, des clôtures, des charpentes, des greniers, des battants de porte. Autre élément, non moins important, est la boue pétrie qui s’obtient par un mélange de terre et d’eau. Le tout donne une pâte homogène, assez collante, qui sert de liant pour façonner les contours intérieurs et extérieurs des bâtiments. Les constructions originelles de Bayangam sont faites d’un assemblage de bois, de pétiole de raphia et de chaume. Pour Lecoq, l’architecture incarne à cet égard une alliance forêt-savane : « de la forêt, elle a emprunté les cloisons en poto-poto, et de la savane la couverture circulaire en chaume » (Lecoq 1998, p. 31). Ces constructions empruntent à l’environnement immédiat diverses ressources ingénieusement transformées pour produire une architecture originale.

Architecture nobiliaire et construction du pouvoir politique chez les bayangam

Bayangam est une société hiérarchisée ayant à sa tête un chef aux pouvoirs étendus, bien que « limités par les notables des conseils coutumiers et des sociétés sécrètes » (Perrois & Notué 1997, p.21). Son autorité s’exerce cependant sur tous, et un principe de subordination prévaut dans tous les domaines : économique, politique ou religieux (Tardits 1960, p. 16). Les normes et les prérogatives en matière de bâti obéissent au même schéma, et l’architecture demeure « un puissant outil dans la construction du pouvoir politique » (Malaquais 1999, p. 117). En pays bamiléké, le bâti est perçu comme un instrument de domination au service d’une élite dirigeante (Malaquais 2002). Les diverses composantes de l’architecture traditionnelle relèvent de droits hérités ou acquis, et constituent à ce titre des marques distinctives, des privilèges accordés suivant le rang occupé.

On observe une large gamme de prérogatives : espaces festifs constitués du meuyo (petit espace plat de forme rectangulaire ou carré) et du teto (place de forme similaire mais moins étendue), cour nobiliaire, toits coniques, piliers, cadres de porte décorés, claies de raphia adossées aux murs. La possession de chacun de ces motifs architecturaux est réglementée et dépend de l’avis du chef supérieur. L’architecture roturière est généralement constituée d’un abri modeste sans signe particulier, contrairement aux concessions de la chefferie « soigneusement encloses de haies végétales doublées de clayonnages de rachis de raphia » (Morin 1996, p. 80). Les notables forment la classe des ainés qui, suivant leur titre coutumier et l’agencement de leur concession, exercent leur autorité sur les cadets sociaux et les femmes. Koupgang et Taboué indiquent que : « le rang social d’un individu a souvent trait à la possession de certains objets cultuels et culturels : sièges, masques, parures, costumes, instruments de musique et éléments architecturaux » (Koupgang et Taboué Nouayé 2005, p. 123). Les reines appelées Mafo1 figurent parmi les dignitaires, et font également usage de prérogatives architecturales.   

Toute architecture est intégrée à son environnement, et participe de la domestication du milieu. Des signes distinctifs rappellent les concessions nobiliaires. Le meuyô se situe à l’entrée des concessions des notables habilités à en disposer. À l’origine, ce droit était conditionné, dit-on, à la loyauté exprimée envers le chef et au don d’une épouse au souverain2. De nos jours, posséder un meuyô dépend des exigences financières fixées par le Fo, au regard des ressources du demandeur3. Différentes espèces végétales marquent cet espace. Elles offrent un ombrage, tout en exprimant le rang social du détenteur4. Le Ficus dicranostyla, le Cordia myxa, le Harungana madagascarienis figurent parmi les plantes utilisées à cette fin. Témoins des rapports entre l’homme et le monde végétal, ces espèces furent consacrées par ceux qui les ont introduites5, et l’aménagement solennel d’un meuyô implique le concours de notables en possédant un. Le meuyô concourt au charme de l’ensemble, dont les riverains (notables de classe inférieure et roturiers) peuvent faire usage pour diverses manifestations, moyennant payements ou présents. Il sert de lieu de lamentation au décès du chef de famille, de ses épouses ou des personnes apparentés. C’est aussi un espace festif où sont exécutées certaines danses patrimoniales, à l’exemple du kaing organisé par les dignitaires occupant le rang de Wabo. La photographie ci-dessous fournit une bonne illustration de ce motif architectural.

© Cliché Philip Fotso Sime 2022, place de fête nobiliaire (meuyô), abritant un ligneux (Ficus dicranostyla).

En-dessous du meuyô, se trouve une autre cour cérémonielle appelée teto (Morin 1996, p. 73). Elle est réservée au rite du tabouret que les hommes adultes doivent effectuer, aux lamentations des enfants décédés et aux rassemblements familiaux. L’accès se fait par un sentier appelé tho’o, et par une cellule dénommée pou. Elle conduit à un autre abri protocolaire (ko) puis à la grande cour familiale. Chacun de ces éléments renvoie à une symbolique particulière et confèrent à l’architecture traditionnelle sa singularité. Incarnation du pouvoir, le bâti constitue également un repère dans un monde en pleine mutation.

L’abri en tant que patrimoine architectural constitue un autre symbole de pouvoir au regard des motifs qui y sont représentés. Son édification requiert des ressources matérielles et techniques importantes, et mobilise une main d’œuvre nombreuse et qualifiée. Elle peut nécessiter plus d’une année de travail6. La plus grande réalisation en la matière est appelée chang : une imposante bâtisse nobiliaire comportant une armature en bambou de raphia sur certains murs7. Au terme de sa construction, l’abri est inauguré et consacré. Il s’agit de communier avec tous les dignitaires possesseurs de semblables édifices, après leurs avoir offert des présents (convertis en payements de nos jours). Par la suite, le nouveau détenteur est officiellement accueilli près de son sanctuaire, et rejoint ainsi le cercle des notables détenant ce privilège8. Le chang, comme le montre la photographie ci-dessous, illustre l’ossature étagée de la société traditionnelle.

© Cliché Fotso Sime Philip 2022, une vue d’une grande bâtisse nobiliaire (Chang) Bayangam. Architecture contemporaine exhibant le toit conique, les piliers et des verandas.

© Cliché Philip Fotso Sime 2022, photographie présentant un mur de bâtisse de dignitaire construite en stipes de raphia édifiés en panneaux et couvrant le mur principal.

De gauche à droite : © Cliché Fotso Sime Philip 2022, une vue d’une grande bâtisse nobiliaire (Chang) Bayangam. Architecture contemporaine exhibant le toit conique, les piliers et des verandas. © Cliché Philip Fotso Sime 2022, photographie présentant un mur de bâtisse de dignitaire construite en stipes de raphia édifiés en panneaux et couvrant le mur principal.

Il convient également de noter les cadres de porte ouvragés. Les éléments de décoration sont, là-encore, fonction du rang social. Suivant les représentations, les motifs anthropomorphes, zoomorphes, anthropozoomorphes ou géométriques, reflètent le statut coutumier du chef (« père ») de la concession. La photographie ci-dessous montre diverses espèces animales représentées. Ces décors illustrent la valeur accordée à certaines, et les liens polymorphes établis entre les hommes et le monde animal (Fouellefak et Modjom 2017, p. 243). Si le crapaud, souvent représenté sous forme de losanges, est le symbole de la féminité et de la fertilité, l’éléphant, la panthère et autres félins sont associés à l’idée de puissance dans les Grassfields. L’éléphant fournit l’ivoire, assimilé à la royauté et longtemps prisé dans la fabrication de divers objets d’art. La panthère figure parmi les doublures animales des principaux dignitaires de la communauté. Sa peau constitue un regalia utilisé comme parure ou accessoire de la danse patrimoniale tseu ou danse du nom.

© Cliché Josué Modjom Tchuenchié 2018, et Philip Fotso Sime 2022. Photographies présentant des bâtisses nobiliaires séculaires imputées aux toits coniques et aux piliers en bois.
© Cliché Philip Fotso Sime 2022, ouvrage du sculpteur Nicodème silatchom. Constituants des cadres de portes taillés sur bois exhibant des représentations anthropomorphes et zoomorphes._

Mutations de l’architecture nobiliaire bayangam

L’architecture a connu une révolution en milieu rural en raison de l’aménagement du territoire et de l’apparition de nouveaux matériaux de construction. Avant la colonisation, les espaces élevés servaient à faire paître les bêtes, à inhumer les mauvais morts, à se ravitailler en graminées ou à pratiquer la chasse. Toutefois, « à partir de 1940, un certain nombre d’hommes aisés commencèrent à se faire construire des maisons sur les hauteurs, alliant aux approches autochtones de la hiérarchie et de l’espace une perception de l’environnement bâti inspirée de l’Europe » (Malaquais 1999, p. 132). Les techniques et les styles hérités du passé furent progressivement remplacés par des matériaux et des procédés de construction d’origine européenne, évoluant au rythme des progrès technologiques. Aujourd’hui, villas et bâtisses luxueuses foisonnent au sein de la chefferie, offrant un contraste saisissant avec l’architecture traditionnelle.

Les propriétaires de ces fastueuses demeures se comptent aussi parmi les cadets sociaux d’hier, qui tentent de s’affirmer dans la société contemporaine au travers de l’architecture. La première évolution consista à introduire la tôle en lieu et place du chaume, (ce) qui donne aux toitures actuelles une forme conique. À la faveur des progrès réalisés en menuiserie, les battants de porte confectionnés à base de pétioles de raphia furent remplacés par des portes en bois ou en métal. Les lianes de raphia frais qui servaient jadis à consolider les claies de raphia, ont été abandonnées au profit des clous, ou de fils d’attache en plastique plus résistants. À leur arrivée, les missionnaires européens initièrent les populations à la fabrication des briques de terre, désormais utilisées pour les constructions. Les sols, jadis damés de terre, sont soit cimentés soit carrelés.

Par ailleurs, les clôtures de haie vive qui entouraient les concessions ont laissé la place à des barrières en parpaings. Les murs désormais construits en briques de terre ou en parpaings sont décorés de claies de raphias. Signalons également la disparition des piliers en bois au profit de poteaux construits en béton. Ainsi, la tôle ondulée, les clous, les planches, le béton, le fer, les parpaings, les carreaux, sont devenus des matériaux incontournables. Les techniques de construction évoluent à un rythme rapide et le risque de saper le fond culturel architectural s’accroît. L’ingénierie et les savoirs qui prévalaient en matière de bâti menacent de disparaitre. Le couvert végétal est moins arborescent et la destruction de l’écosystème raphial est redoutée. Par ailleurs, les artisans-bâtisseurs endogènes meurent peu à peu sans avoir transmis leur savoir-faire. Ce déficit de transmission intergénérationnel, doublé de la désinvolture des générations montantes, expliquent la ruée vers les nouvelles techniques architecturales. Cette mutation a été analysée par Nizésété :

Si le déclin des cases Bamiléké est timidement amorcé pendant la période coloniale française avec l’introduction de nouveaux matériaux de construction, c’est surtout au cours de la manifestation du nationalisme camerounais en pays Bamiléké, entre 1958-1966, mouvement parfois qualifié de « violente révolte des cadets contre les aînés », de « rébellion Bamiléké » ou encore du « temps du maquis », que ce phénomène d’acculturation s’accélère. Les incendies criminels qui consument les palais royaux, calcinent les concessions des notables, réduisent en cendres les modestes cases de paysans pétrifient l’imagination. Effrayées par la propension de ces cases à brûler comme des torches, les populations recourent de plus en plus au nouveau modèle architectural sculpté dans les briques de terre crue et coiffé de tôles ondulées en aluminium. Ces matériaux nouveaux apparemment résistants au feu, s’ils fascinent et attirent la population, se présentent aussi comme signe extérieur de richesse. Ils vont progressivement acculer à l’abandon la case Bamiléké, de plus en plus considérée comme un modèle architectural d’un autre âge, et désormais traitée de ringard ou de torche potentielle_ (Nizésété 2015, p. 35).

Le déclin architectural à Bayangam commence avec les Allemands dès 1912. Les principaux souvenirs d’alors restent les incendies perpétrés dans la chefferie, aux conséquences dramatiques pour le patrimoine culturel. Kuipou Chimba indique à ce sujet que « les Allemands vont intervenir et incendier à plusieurs reprises le village. On parle de neuf fois » (Kuipou Chimba 1986, p. 22). La photographie ci-dessous montre une partie d’un rempart de style contemporain en milieu rural. Réalisé en ce début de XXIe siècle chez le dignitaire Wabo Mbeu Niaptse, ce mur surmonté de fils barbelés témoigne du dynamisme architectural résultant de la disparition complète des matériaux locaux. De nos jours, seuls les dignitaires financièrement aisés, peuvent s’offrir ce privilège. Les scènes et les figures observables sur ce mur présentent l’homme dans son quotidien et dans son milieu : partie de chasse, réunion de société coutumière, exhibition de cagoules à motifs d’éléphant. Les félins représentés renvoient à la condition sociale élevée de son propriétaire.

© Cliché Josué Modjom Tchuenchié 2022, section d’une barrière en parpaings crépis et peint substituant aux clotures de haies vives réccurentes des années 1950.

Avec l’exode rural, les élites économiques et politiques installées à l’extérieur vont user de leur pouvoir financier et profiter des progrès de la technologie pour s’offrir des constructions luxueuses. Ce luxe fait fi des frontières entre modernité et tradition, et se voit convoité par les dignitaires et les chefs supérieurs. Ces derniers ne vivent pas en marge de cette modernité /mondialisation plus ou moins funeste, mais optent eux-aussi pour de somptueuses villas construites avec des matériaux actuels. Dans la région bamiléké, le pouvoir financier se mesure à l’aune des réalisations architecturales, synonymes de réussite sociale.

Conclusion

L’architecture à Bayangam reste un instrument de pouvoir. Elle traduit l’inventivité de ce peuple et demeure un témoin matériel de son existence. Son charme résulte de l’agencement des espaces et de facteurs écologiques qui, au-delà de leur valeur esthétique, s’apparentent à des marqueurs sociaux. Aujourd’hui, le bâti évolue rapidement. Les progrès technologiques, le développement de l’informatique, l’essor des écoles d’architectes et d’ingénieurs, concourent à la création de nouvelles formes architecturales. De plus en plus, les élites investissent dans le domaine de l’architecture somptuaire, sans avis préalable du chef, et sans titre nobiliaire. Malgré l’air du temps, « l’architecture africaine ne doit pas mourir : elle doit renaître pour l’Afrique de demain : aussi belle que dans le passé, digne des techniques des temps nouveaux » (Mveng 1980, p. 21). Face au réchauffement climatique, il y a lieu de reconsidérer – sinon de réhabiliter – l’ensemble des savoirs et savoir-faire architecturaux anciens.


  1. Dans la plupart des chefferies de l’Ouest-Cameroun, les Mafo mères de chef se distinguent des Mafo de prestige. Ces dernières sont des femmes dynamiques, élevées à ce rang en signe de gratitude pour leurs œuvres d’intérêt général. Les premières sont assimilées à des dignitaires, et siègent dans certaines sociétés coutumières, tandis que les secondes disposent de certains privilèges, en matière de parure et de bâti. 

  2. Entretien avec le notable Jean Meutcheyo,  le 27 mars 2022 à Bayangam. 

  3. Entretien avec le notable Eugène Kamdjom, le 3 avril 2022 à Bayangam. 

  4. Entretien avec le notable Jean Paul Tchumtchueng, le 18 août 2018 à Bayangam. 

  5. Entretien avec le notable guérisseur Jean Meutcheyo,  27 mars 2022 à Bayangam. 

  6. Entretien avec le notable et vannier Jean Nimpeu, le 10 août 2022 à Bayangam. 

  7. Entretien avec sa Majesté Georges Désiré Pouokam II, au palais royal le 27 août 2018. 

  8. Entretien avec la reine Julienne Waindja, le 24 août 2018 à Bayangam. Elle est propriétaire de ce type de construction. 

BibliographieBibliography +

Sources orales

Kamdjom, Eugène, notable, 55 ans, 3 avril 2022 à Bayangam.

Meutcheyo, Jean, notable et guérisseur, 74 ans, 27 mars 2022 à Bayangam.

Nimpeu, Jean, notable et vannier, 76 ans, 10 août 2022 à Bayangam.

Pouokam II Georges, Désiré, chef supérieur, 50 ans, 27 août 2018 à Bayangam.

Tchumtchueng, Jean Paul, notable, 60 ans, 18 août 2018 à Bayangam.

Waindja, Julienne, reine-mère, 80 ans, 24 août 2018 à Bayangam.

Sources écrites

Barillet, Christian, & al (dir.), Guide à l’attention des collectivités locales africaines, Patrimoine culturel et développement local, CRATerre-ENSAG/Convention France-UNESCO, 2006.                         

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Dongmo, Jean-Louis, « L’aménagement de l’espace rural en pays Bamiléké (Ouest- Cameroun) », Thèse de Doctorat IIIe cycle en Géographie, Université de Lille I, 1971.

Dzou Tsanga, Rémy, « Architecture et identités techniques au Cameroun », dans Histoire des techniques en Afrique de l’Ouest, V-2, 2016, pp. 36-48.

Fouellefak Kana, Célestine Colette, et Modjom Tchuenchié, Josué, « Sculpture sur bois, architecture et céramique Bayangam de l’Ouest-Cameroun : un legs pour la postérité », dans Fouellefak Kana Célestine Colette et Nzessé Ladislas (dir.). Patrimoine culturel africain, Matériau pour l’histoire, outil de développement, Paris, l’Harmattan, 2017, pp. 239-261.

Kouosseu, Jules et Simo, Max, « The impact of European presence in the architecture of the Bafut Fondom in Cameroon : 1889-1961 », dans Jules Kouosseu (dir), Cameroun : lemonde rural en mutations (XIXe – XXIe siècle), Dschang, Premières lignes Editions, 2021, pp. 145-162.

Kueté, Martin, « Le milieu physique des hautes terres de l’Ouest : un espace aux, caractéristiques naturelles difficiles », dans Kueté Martin et Dikoume Albert (dir.), Espace, pouvoir et conflits dans les Hautes Terres de l’Ouest Cameroun, Espace et société, Yaoundé, PUY, 2000, pp. 93-149.

Kuipou Chimba, Kom, La chefferie Bayangam des origines à nos jours, Yaoundé, CEPER, 1986.  

Lecoq, Raymond, Les Bamiléké, Paris, Présence Africaine, 1998.

Malaquais, Dominique, « Construire au nom de Dieu : Architecture, résistance et foi chrétienne en pays bamiléké », Politique africaine n° 76 – décembre 1999, pp. 117-135.

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