La richesse des travaux d’Ibrahima Sow sur les pratiques divinatoires au Sénégal témoigne à la fois d’une véritable curiosité, d’un projet d’« exploration des confins de l’imaginaire » et de l’inconscient1 et d’un souci d’inventaire ethnologique qui caractérise les recherches conduites au sein de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta Diop depuis son origine, depuis sa création en contexte colonial sous le nom d’Institut Français d’Afrique Noire, en 19362. Au centre de l’intérêt de Sow pour la divination se trouve la question de l’oniromancie, et plus largement l’attention portée aux rêves et à leur interprétation. Il considère en effet que « les présages oniriques constituent une voie royale pour la connaissance et les représentations liées au destin » (Sow 2008, p. 59). Or, plusieurs des sources exploitées par Sow sont liées à l’histoire de l’IFAN. Parmi de nombreuses sources et références, dont l’important travail de Djibril Samb (1998), Sow mobilise un certain nombre de textes qui sont parus, à la fin de la période coloniale, pour l’essentiel dans les années 1940, aussi bien dans les Notes africaines, le bulletin de liaison de l’IFAN, que dans la revue scientifique de l’institut, le Bulletin de l’IFAN. Dans La symbolique de l’imaginaire, qu’il fait paraître en 2008 (Sow 2008), Sow cite par exemple les articles de l’ethnologue tchèque Bohumil Holas, naturalisé français en 1950, de l’artiste et ethnographe Béatrice Appia ou d’Orou Gani, agent du centre IFAN du Dahomey (Bénin actuel). Dans la somme qu’il publie un an plus tard, Divination, marabout, destin (Sow 2009), il ajoute à ces trois noms celui de Demba Sissoko, qui, comme Orou Gani, est l’un de ces chercheurs africains trop longtemps ignorés par les historiens des sciences coloniales3
Ces références, comme d’autres que Sow ne mobilise pas, montrent qu’au mitan du 20ème siècle, autour de l’IFAN, l’intérêt pour les rêves et leur interprétation rencontrait l’ethnologie coloniale. Les matériaux oniriques n’ont certes guère de rapports avec la culture matérielle. La collecte des rêves n’apparaît pas immédiatement muséale. Leur caractère éphémère, leur évanescence même, semble résister à leur réification. Il pourrait même n’y avoir rien d’objectivable dans les songes. Chercher à comprendre l’intérêt pour les rêves des ethnologues de l’IFAN ou gravitant autour de l’institut invite cependant à prendre au sérieux leur démarche en même temps que sa portée dystopique, donc politique (Tonda 2021)4. Leur entreprise revient, à la fin de la période coloniale et au nom de la science, à « constituer le champ onirique en un inépuisable gisement » (ibid. p. 36). Elle met en exergue les affinités entre la notation des rêves et les collectes ethnographiques, entre le contenu manifeste des uns et la mise en exposition des autres, entre la valeur des images oniriques et celle des objets. Dans cet article, il ne s’agit cependant pas (seulement) de faire entrer l’imaginaire ou l’inconscient au musée, mais de saisir ce que les matériaux oniriques collectés à la fin de la période coloniale révèlent de l’histoire de l’IFAN, de l’ethnologie coloniale et de la portée dystopique des tentatives d’abolition de la distinction entre les objets de la vie quotidienne (transformés en objets ethnographiques par l’activité de collecte) et les images de la vie nocturne (interprétées sous l’angle du destin des groupes colonisés et ethnographiés).
Notes de Bohumil Holas à propos du Cahier Ponty de Moustaf Wade, fonds Bohumil Holas, 33AP, archives du musée du quai Branly-Jacques Chirac.
Rêver, prélever
L’intérêt pour les rêves des ethnologues français doit beaucoup à la publication, en 1922, de La mentalité primitive, de Lucien Lévy-Bruhl, l’un des fondateurs, trois ans plus tard, de l’Institut d’Ethnologie de Paris, où furent formés les premiers ethnologues professionnels français. Les anthropologues anglo-saxons s’étaient déjà intéressés, à partir du dernier tiers du 19ème siècle, aux théories du rêve présentes dans les sociétés extra-occidentales (considérées comme « primitives » à l’époque). Edward Burnett Tylor puis James Frazer avaient recherché dans l’expérience onirique des « primitifs » l’origine de la religion, donnant le nom d’animisme à cette forme supposément originelle de l’expérience religieuse : le rêve comme voyage de l’âme, conçue comme un double détachable de la personne5. Prenant ses distances avec l’importance accordée par Tylor à l’idée de double, Lévy-Bruhl trouve lui aussi dans l’expérience onirique (et les présages) un argument pour définir la « mentalité primitive » : dans les sociétés extra-occidentales, le contenu du rêve serait considéré comme réel, au point que les humains seraient tenus pour responsables de ce qu’ils font non seulement dans la journée, mais aussi dans leurs songes ou dans ceux des autres (Lévy-Bruhl 1922 : chapitre 3). Alors que la « mentalité civilisée » reposerait sur un principe de contradiction (entre le rêve et la réalité par exemple), la « mentalité primitive » se caractériserait par un principe de « participation », de continuité entre les expériences diurnes et nocturnes, actuelles et virtuelles. Cette « absence de coupure » justifierait une approche ethnologique ou sociologique des rêves, prenant pour objet leurs effets dans la vie quotidienne et dans la dynamique des groupes sociaux (Bastide 1967)6.
Parallèlement à cette quête d’une forme primitive de religion ou de mentalité, l’intérêt pour les rêves se développa également, principalement dans le domaine anglo-saxon, dans une perspective de rapprochement entre l’anthropologie et la psychanalyse, chez W. H. R. Rivers, Charles Gabriel Seligman ou encore Robert Lowie. Ce dernier ne s’intéressait pas seulement aux rêves de ses informateurs ou informatrices : il prit l’habitude, au moins à partir de l’année 1908, de noter ses propres rêves, dont il publia quelques exemples (Lowie 1966). Ces pratiques de notation des rêves obligent à penser d’autres formes de continuité, entre les rêves de l’ethnologue et ceux de ses interlocuteurs et interlocutrices, et donc à dépasser le grand partage entre de supposées sociétés civilisées et primitives – grand partage dont l’expérience onirique serait, selon Lévy-Bruhl, l’un des lieux de passage. Nul plus que Michel Leiris sans doute n’a poussé aussi loin cette abolition des différences entre ses propres rêves et les rêves d’autrui, sans doute parce qu’il se tourne vers l’ethnologie pour (tenter de) s’accorder – sinon régler ses comptes – avec la psychanalyse et le surréalisme. Entre 1931 et 1933, lors de la fameuse mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti, Leiris ambitionne de collecter une clef des songes dogon et pousse à son comble, en Ethiopie, la collecte des récits de rêves (Bondaz 2017). A Gondar, non seulement il s’intéresse à ceux de ses informateurs et, plus encore, de ses informatrices (dont Emawayish, pour laquelle il éprouve un désir ambivalent), mais il soumet aussi à l’interprétation d’une spécialiste locale l’un de ses propres rêves. Tout au long de la mission, il consigne dans son journal intime (publié sous le titre L’Afrique fantôme en 1934) ses rêves et ceux des autres, informateurs ou informatrices, mais aussi autres membres de la mission. L’ethnologue Marcel Griaule, qui la dirige, rêve d’ailleurs d’une impossible muséalisation : « L’autre nuit, ayant de la fièvre, Griaule avait rêvé de son côté qu’il devait faire rentrer des lions dans un musée… » (23 juillet 1931).
L’expérience de Leiris, cette part onirique de la mission Dakar-Djibouti, mission considérée comme fondatrice de l’ethnologie professionnelle française, n’a guère de réplique dans le travail des ethnologues de la fin de la période coloniale, ceux de l’IFAN en premier lieu. Ces derniers s’inscrivent davantage dans la poursuite des inventaires de rêves qu’ont esquissés plusieurs administrateurs coloniaux intéressés par l’ethnographie. Ceux-ci n’envisageaient pas les matériaux oniriques comme le résultat d’élaborations intersubjectives, encore moins comme des occasions de dépassement des différences et des rapports de domination. Ils les considéraient avant tout sous l’angle des énoncés et des pratiques divinatoires. Louis Tauxier, en poste à Ouagadougou puis à Ouahigouya au début des années 1910, s’intéresse à l’onirocritique des populations qu’il administre :
« Tous les rêves n’ont pas ce caractère de vérité et d’objectivité brutales. Ils peuvent n’être vrais que d’une vérité symbolique ou même être entièrement faux. L’expérience a en effet prouvé, dès longtemps, à nos Mossis et Foulsés, que tous les rêves ne se réalisaient pas. Un grand nombre […] demandent à être interprétés symboliquement. Comme nous, Mossis et Foulsés ont leur clef des songes. » (Tauxier 1917, p. 386)
Tauxier se méfie des généralisations : tous les rêves n’ont pas le même statut aux yeux de ses informateurs. Il estime cependant possible d’accéder à une clef des songes locale, sur le modèle de celles héritées de l’antiquité. Ce travail de mise en ordre des significations des rêves reste inabouti. En postulant une onirocritique locale, Tauxier oriente cependant l’étude des rêves vers celle de la divination. Il s’agit peut-être, inconsciemment, de prévenir l’avenir : certains rêves ne sont-ils pas des rêves de guerre (« rêver d’abeilles c’est rêver de guerre ») ? Les énoncés oniriques recueillis en situation coloniale sont souvent des récits de conflits, des marges inconscientes de lutte et de résistance (Mbembe 1991, Chidester 2008).
La démarche de Tauxier inspire notamment Charles Monteil dans la synthèse qu’il consacre, en 1931, aux pratiques divinatoires dans les colonies françaises de l’Afrique de l’Ouest, parue dans le Bulletin du Comité d’Etudes historiques et scientifiques de l’AOF, ancêtre du Bulletin de l’IFAN (Monteil 1931). Monteil est d’ailleurs l’une des figures de la transition de la curiosité coloniale vers la recherche scientifique, dont la création de l’IFAN marque l’ambition. Son fils, Vincent Monteil, prendra brièvement la suite de Théodore Monod à la direction de l’institut, après l’Indépendance du Sénégal.
A chacun sa clé des songes
Monod dirige l’IFAN de 1938 à 1965. Issu d’une famille de pasteurs, il partage avec le fils de Monteil une même ambition œcuménique, un même humanisme. Il accorde une importance toute personnelle aux rêves, mais l’expérience onirique est chez lui avant tout religieuse. Dans Maxence au désert, le rêve lui fournit un motif littéraire permettant d’évoquer les temps bibliques :
« Cette nuit-là, sous la gloire du ciel tropical, alors que se levait le croissant rouge d’une lune renaissante et qu’Orion s’inclinait vers les sables, Maxence rêva. Son esprit, libéré, du contrôle volontaire et de la tension des heures claires, s’était évadé vers les brouillards d’un lointain passé. » (Monod 1995, p. 67)
Dans Méharées, c’est par le détour d’un récit (fictif ?) de rêve qu’il décrit sa vision idéale du colonialisme (Brodziak 2010, p. 38). Dans L’Emeraude des Gamarantes, le chapitre de la « Méditation au désert » est présenté comme un récit de songe ou de vision, daté de septembre 1940, convoquant plusieurs figures religieuses autour de l’apparition d’un ange. Comme dans Maxence au désert, le rêve est celui d’une ascension, rappelant celle d’Élie dans le Sinaï. Les songes, chez le directeur de l’IFAN, sont donc d’abord des formes de détour, des occasions de méditations littéraires. Il n’y a pas, chez lui, d’entreprise de collecte de rêves ou de tentative de constitution d’une clef des songes. L’expérience onirique est avant tout individuelle. Mais dans les Notes africaines comme dans le Bulletin de l’IFAN, Monod accueille volontiers plusieurs articles consacrés aux rêves.
Le premier à être publié dans les Notes africaines est celui de Paul Bacou, qui vient alors d’être nommé, le 8 décembre 1943, commandant du cercle de N’Zérékoré, en Guinée (il en était jusqu’alors commandant adjoint, après avoir été en poste à Koulikoro, au Soudan français, Mali actuel)7. Dans ce très bref article intitulé « Quelques interprétations de rêves chez les Bambaras de Doumba (Subdivision de Koulikoro) », l’administrateur dresse une courte liste de neuf motifs de rêve et indique leur interprétation. Pour trois d’entre eux, il note également les prescriptions ou prohibitions que le rêveur doit respecter pour empêcher un évènement néfaste annoncé par son rêve, sans préciser si elles relèvent d’un savoir partagé ou résultent d’une consultation chez un devin-guérisseur. Bacou indique par exemple, à propos du motif du « coup de fusil » qui « ne part pas », interprété comme l’annonce d’un complot ourdi contre le rêveur :
« Pour éviter que le rêve ne se réalise, il faudra faire des aumônes. Elles consistent en beignets ou crème de farine de mil que l’on offre à manger aux enfants. Ceux-ci n’ayant pas de péchés, la divinité protègera la personne qui donne aux enfants. » (Bacou 1944, p. 11)
En occultant les noms de ses informateurs et en oblitérant le contexte de collecte de ces interprétations et de ces prescriptions, l’administrateur colonial transforme des énoncés situés en fragments de clef des songes bambara.
Le même travail de décontextualisation s’observe quelques années plus tard chez Demba Sissoko, un lettré malinké qui descend sans doute d’une famille de griots (son nom l’indique et il publie à deux reprises des contes dans Notes africaines). Son petit article concerne lui aussi les rêves chez les Bambara. Sissoko présente deux motifs oniriques et leur signification, « les chaussures » et « la nage dans l’eau claire qui coule », en les inscrivant dans le cadre plus large des « superstitions » (Sissoko 1947). De ce point de vue, Sissoko s’inscrit moins dans la continuité de l’article de Bacou que dans celle du long travail d’inventaire de Béatrice Appia.
Cette dernière a publié dans le Bulletin de l’IFAN, en 1940, un long article intitulé « Superstitions guinéennes et sénégalaises », qui liste des séries de croyances locales en les classant par ethnie. Cette liste est présentée par Appia comme une « collection » (Appia 1940 : 358). En visant un idéal d’exhaustivité, il s’agit pour elle de décrypter les sociétés africaines et leur psychologie : « si l’on pouvait recueillir toutes les superstitions de l’Afrique Occidentale, on aurait un bel aperçu de la psychologie et de la vie quotidienne des Noirs » (359). Veuve du peintre et romancier Eugène Dabit, Appia a d’abord séjourné en Afrique en tant que peintre, avant d’épouser, en 1938, Louis Blacher, le gouverneur de la Guinée, et de s’intéresser à l’ethnologie8. C’est donc aussi en tant qu’épouse d’administrateur colonial qu’elle collecte des centaines de « superstitions », parmi lesquelles de nombreuses interprétations des rêves dont voici quelques exemple
« Quand on rêve qu’on mange de la viande crue, il faut le raconter dès son réveil, sinon on deviendrait sorcier. » (collecté à Macenta, en Guinée, p. 360)
« Quand on rêve qu’on a sauté sur le battant de la porte, c’est qu’on est un sorcier. » (collecté à Macenta, en Guinée, p. 362)
« Danser dans une chambre à coucher provoque des rêves dangereux. » (collecté en Casamance, p. 369)
« Faire des rêves joyeux porte malheur ; faire des rêves malheureux annonce des joies. » (collecté en Casamane, p. 370)
« Rêver de python donne beaucoup d’enfants » ; « Rêver de cheval blanc fait vivre longtemps. » (collectés en Casamance, p. 372)
« Rêver de beaucoup de petits caméléons vous rendra riche. » (collecté en Casamance, p. 375)
« Si on rêve d’eau, on aura de l’argent » ; « Voir en rêve quelque chose de blanc porte bonheur. » (collectés en pays wolof, p. 385)
« Lorsque vous rêvez d’avoir pleuré, il vous arrivera un bonheur inattendu quelques jours après, si vous riez dans votre rêve il vous arrivera malheur. » (collecté au Fouta-Djallon, p. 390)
« On ne doit pas mettre sa main gauche sur sa poitrine quand on dort : cela vous donne des rêves effrayants. » (collecté à Boé, en Basse-Guinée, p. 395)
En 1955, en écho explicite au travail d’Appia, Orou Gani, qui travaille au centre IFAN du Dahomey, publie à son tour une longue liste de « superstitions nord-dahoméennes » dans les Notes africaines (Gani 1955). Parmi ces 184 « superstitions » figurent là encore de nombreuses interprétations de rêves, pour certaines semblables à celles déjà collectées ailleurs (« Faire des rêves malheureux, annonce la joie »), d’autres moins courantes (« Rêver qu’on remue, qu’on pétrit la terre ou qu’on construit une case est le présage de la mort certaine d’un membre de sa famille »).
De tels énoncés, marqués par le travail de la traduction et le passage de l’oralité à l’écriture, l’emploi du présent de vérité générale et l’usage de la valeur générique des pronoms de deuxième personne, sont proches des formes proverbiales. Leur structure grammaticale et leur valeur assertive ou impérative sont caractéristiques des clefs des songes qui, en proposant une grille d’interprétation des rêves, les déparent de leur subjectivité pour en décrypter les significations univoques, valables pour des individus interchangeables, donc génériques.
Les clefs des songes fragmentaires de Bacou, Sissoko, Appia et Gani reposent sur deux présupposés. Le premier réside dans le caractère fixiste de l’interprétation des motifs oniriques : pour chaque rêve correspondrait une seule interprétation valable pour n’importe quel rêveur. Ce principe est au fondement de l’entreprise de collecte des rêves : il repose sur une logique de prélèvement qui détache l’énoncé du rêve de son contexte d’énonciation. Cela revient à oblitérer les conditions de collecte de ces énoncés, pourtant marquées par des formes d’interlocution, et souvent par une forte asymétrie. La « violence de l’imagerie onirique » qui caractérise les « rêves en zone de contact » (Chidester 2008) se retrouve largement occultée.
Le second présupposé est ethniciste : il conduit à rechercher la validité de l’interprétation des rêves à l’échelle du groupe ethnique, chaque ethnie étant censée posséder sa propre clef des songes. A l’époque, ce paradigme ethnique légitimait l’approche ethnographique des rêves : aux yeux des ethnologues, leur signification ne valait pas tant pour les individus que pour le groupe. Mais il conduisait à négliger la circulation des expériences oniriques et la quête des universaux, tout en contribuant à figer des catégories ethniques modelées par l’administration coloniale. Un tel travail de décontextualisation, d’abstraction et d’ethnicisation, où point la double violence de l’arrachement et de l’assignation, n’était donc pas seulement au cœur des entreprises de collecte d’objets ethnographiques. Il valait également pour les matériaux oniriques.
Mais cette entreprise d’objectification des rêves ne se limite pas au style de l’onirocritique ou aux biais culturalistes de l’entreprise de collecte. Chez Sissoko comme chez Appia ou Gani, le terme même de « superstition », emprunté au vocabulaire des folkloristes, signale que les rêves et leur interprétation se retrouvaient classés dans une catégorie faussement scientifique et éminemment politique. En situation coloniale, la notion de « superstition » a en effet été construite sur une triple opposition : à la religion (c’est-à-dire aux monothéismes), à la rationalité (les « superstitions » se retrouvant alors susceptibles d’être pathologisées) et en fin de compte à l’Etat colonial, dont l’idéal civilisateur reposait précisément sur une entreprise de rationalisation des populations colonisées, donc de lutte contre les soi-disant « superstitions ». Les rêves fournissaient, de ce point de vue, une clef de compréhension des populations, mais ils formaient aussi un domaine intime difficilement contrôlable par les colons. Le rêve et la nuit « devenaient des « ressources » que différents protagonistes cherchaient à contrôler » (Mbembe 1991, p. 102).
Notes de Bohumil Holas à propos du Cahier Ponty de Moustaf Wade, fonds Bohumil Holas, 33AP, archives du musée du quai Branly-Jacques Chirac.
Compilations et révélations
C’est sans doute chez Bohumil Holas que se donne le mieux à lire cette intrication des logiques de l’inventaire et du contrôle dans l’intérêt pour les rêves. Lorsque l’ethnologue tchèque rejoint l’IFAN en juin 1946, il collabore à l’enquête que mènent alors Georges Balandier et Paul Mercier sur les pêcheurs Lébou. Malgré l’intérêt de ces deux ethnologues pour la psychologie (à l’époque, ils s’intéressent notamment aux travaux de Kardiner), les rêves ne semblent pas les avoir intéressés. La publication tardivement tirée de leurs recherches ne compte qu’une mention des rêves des Lébou : dans une partie consacrée à la « vie religieuse traditionnelle », Balandier et Mercier notent que Kumba sèn, le « génie protecteur » des villages de Mbao, « prend, souvent, la nuit, l’aspect d’un ami et accompagne les gens jusque chez eux pour ensuite leur révéler, en rêve, son intervention » (Balandier et Mercier 1952, p. 112). Holas, tout en travaillant à leur côté sur la culture matérielle des Lébou, développe au contraire un véritable intérêt pour les rêves et leur interprétation. Le premier article que l’ethnologue tchèque publie en français paraît dans les Notes africaines en 1946 et il est précisément consacré aux moyens employés pour provoquer les rêves au Sénégal (Holas 1946). S’intéressant aux « interprètes des songes sénégalais », Holas insiste sur l’influence de l’onirocritique musulmane, dont il cite les sources principales, à commencer par Muhammad Ibn Sirin, considéré comme son fondateur. Il recense ensuite les lieux, les moments et les pratiques propices à l’activité onirique, listant les prières à réciter ou les techniques employées pour provoquer les rêves, qu’il s’agisse par exemple du recours à des « drogues et substances » ou à des amulettes (xatim). Pour Holas cependant, il s’agit de « croyances musulmanes, souvent déformées par les superstitions locales » (1946, p. 8) : une fois de plus, les rêves sont le lieu théorique où s’opposeraient vraies croyances (liées aux monothéismes) et croyances fausses (« superstitions »).
Sans le dire, Holas tire ses informations de trois cahiers respectivement rédigés par Moustaf Wade, Omar N’Dao et Hamet Diop, élèves en troisième année à l’Ecole William Ponty9. A partir de 1933, les élèves de l’école devaient en effet écrire des mémoires de fin d’étude sur le sujet de leur choix, ces « Cahiers Ponty » proposant ainsi une forme d’« ethnographie para-littéraire » (Warner 2016). Les trois élèves ont recueilli diverses informations sur l’interprétation des rêves et les moyens de les faciliter, mais aussi des clefs des songes, en interrogeant divers responsables musulmans, maîtres coraniques, marabouts ou imams. Parmi ces derniers, Omar Sarr, l’imam de la mosquée de Sagatta Gueth, fournit de nombreux renseignements à Diop. C’est à partir de ces travaux d’étudiants que l’ethnologue publie, trois ans après son premier article, « La clé des songes des musulmans sénégalais », toujours dans Notes africaines (Holas 1949). Dans ce second texte consacré aux rêves, il indique en note de bas de page que « les informations suivantes ont été recueillies en majeure partie dans les cahiers des devoirs des élèves de l’Ecole William Ponty et contrôlées au cours des enquêtes complémentaires », sans toutefois préciser les noms des trois élèves, dont il compile pourtant les travaux. Ce travail de compilation consiste pour Holas à fusionner les trois clefs des songes retranscrites par Wade, N’Dao et Diop, rassemblant ainsi plus de deux cents motifs oniriques, et à les classer par sous-thèmes. Cela l’oblige parfois à proposer plusieurs interprétations puisées dans les différents cahiers, par exemple : « marabout = vie tranquille, avancement dans ton occupation ». Mais cela le conduit plus souvent à choisir une interprétation au détriment d’une autre, en cas de contradiction entre les deux. Pour le motif de la lune, Holas indique « décès d’un chef, épidémie du bétail », en retenant l’interprétation proposée par Sarr à Diop et en abandonnant celle recensée par Wade (« salut »). Le montage effectué produit ainsi un effet de cohérence permettant de proposer une clef unique et univoque d’interprétation des songes (dont rend bien compte l’emploi de l’article défini dans le titre de sa publication).
Mais l’ethnologue va plus loin encore dans la création de cette clef des songes. Il évacue plusieurs motifs oniriques renvoyant à la situation coloniale. Le motif du « tigre », par exemple, n’est pas repris du cahier de Wade, sans doute au prétexte qu’il n’y en a pas en Afrique. Plus intéressant encore, alors que l’imam Sarr, interrogé par Diop, mentionne quatre rêves de changement : « devenir aveugle », « muet », « sourd » et « blanc », ce dernier motif est évacué par Holas. Rêver que l’on devient blanc était, selon Sarr, le signe que l’on « sera aimé des Blancs ». Par ailleurs, de nombreux motifs oniriques référant à l’islam, principalement recueillis par Diop auprès de Sarr, sont repris, regroupés dans deux sous-thèmes : « êtres surnaturels (et personnages coraniques) » et « visions des lieux sacrés ». Mais là aussi l’ethnologue modifie parfois quelques interprétations, comme c’est le cas pour celui d’« avoir une tête de chameau », pour lequel il donne l’interprétation : « tu seras instruit », coupant la suite de l’interprétation donnée par l’imam (« tu seras instruit de connaissances condamnées par la religion ») et produisant ainsi un contresens. En publiant une version cohérente et épurée de clef des songes, en évacuant toute référence à la situation coloniale et aux conflits religieux, Holas contribuait à figer et à unifier les formes locales, nécessairement diverses, d’onirocritique.
En 1949, à la date de la parution de « La clef des songes des musulmans sénégalais », l’intérêt de Holas pour les rêves change cependant d’orientation. L’ethnologue vient alors d’intégrer l’IFAN et d’être affecté à la direction de la section Ethnographie-Sociologie du centre local d’Abidjan, où il est également en charge du musée. Après avoir mené des recherches extensives d’ethnologie religieuse en AOF et être parti en mission au Libéria avec Paul-Louis Dekeyser, le zoologiste de l’IFAN, Holas se spécialise dans l’étude des différents groupes ethniques de Côte d’Ivoire. Il s’intéresse également aux prophétismes qui apparaissent de façon chronique dans la colonie ivoirienne. La compréhension de ces phénomènes religieux passe alors par une approche biographique des prophètes, centrée sur le récit de leur révélation. En 1952, François-Joseph Amon d’Aby, l’archiviste du Centre IFAN d’Abidjan, lui communique dix-sept copies de documents concernant le prophète Boto Adaï, dont le culte rencontre un grand succès à Grand-Lahou à partir des années 1930. Plusieurs de ces documents sont des rapports confidentiels sur le culte d’Adaï, adressés au gouverneur de la Côte d’Ivoire, l’enquête visant ici encore à la fois la compréhension et le contrôle des mouvements religieux. D’autres documents sont des transcriptions, par un disciple lettré, des prescriptions du prophète. Figure parmi elles le récit de sa révélation, dans lequel le rêve joue un rôle central :
Il y a environ quatre ans, lorsqu’en songe un homme, sous forme d’ange, vêtu de linge blanc, m’apparut en disant ceci :
« Dieu m’envoie vous ordonner d’aller prêcher les paroles saintes et soulager en son nom les malades de bonne foi. »
Je lui répondis : « Par quel moyen, car je ne suis qu’une simple créature demeurant ici au Boubo comme planteur ? »
A ce mot, bref, me voici resté debout sur mon lit sans considération de serrer mon pagne autour des reins, en parlant presque tous les langages. Abstinence, aussitôt, de manger et de boire.
Pour la deuxième et troisième fois, l’ange me rapporta la même nouvelle – puisque je méprisais le devoir – en ajoutant que je guérirai les malades au moyen d’une cuvette d’eau naturelle qui sera bénie au cours de l’action en y plongeant mes mains à l’occasion de certaines prières et le malade, par exemple, en faisant une parfaite confession publique. »10
Le rêve n’est plus lié ici à l’onirocritique mais, comme souvent dans les récits de révélation, à l’expérience visionnaire, et c’est à ce titre qu’Holas s’intéresse désormais à l’activité onirique. Il consacre toute une partie de son livre Le séparatisme religieux en Afrique noire, paru en 1965, au prophète Ataï, insistant sur son « magnifique rêve », dont il donne une autre version, fondée sur des « explications orales » (Holas 1965, p. 74).
Dans le même ouvrage, Holas mentionne également la série de révélations reçues en songe par Frédéric Bruly Bouabré, dont le parcours est étroitement lié à l’IFAN. Fonctionnaire, il est affecté au centre IFAN de Côte d’Ivoire en 1958, après avoir longtemps séjourné à Dakar où il reçut une première révélation dix ans plus tôt. Il collabore avec Holas pendant de longues années et assiste Denise Paulme et André Schaeffner lors de leur enquête sur la société bété, en juin 1958. Dans Le séparatisme religieux en Afrique noire (Holas 1965), le premier publie un manuscrit de Bouabré daté de 1963 et relatant ses révélations, « Yoro-Lago : Soleil-Dieu », tandis que Paulme, à la fin de sa vie, témoigne de sa rencontre avec celui qui allait devenir un artiste à la renommée internationale, rapportant plusieurs de ses « rêves prophétiques » (Paulme 1998). La vie et l’œuvre de Bouabré sont désormais bien connues (Vincent 2016). Ses rêves cependant ont marqué Holas et Paulme avant les dessins qui devaient le faire reconnaître comme artiste. La place que Bouabré accordait, dans son manuscrit, à l’interprétation des songes mérite également de retenir l’attention. Dans une partie intitulée « Source de nos Lois divines », celui qui était alors agent de l’IFAN préconisait :
« Transcription et matérialisation de tous nos songes qui sont de « nature vertueuse ». Car pour nous, les vertus d’un « songe » sont les vertus du « jour ». Dire que les « réalités » d’un signe ne sont point les « réalités » du jour, c’est fausser le grave problème de la Croyance et de la Foi, c’est pousser l’Humanité au « vil matérialisme non raisonné ». Mais pensez que « tuer » son prochain innocent étant dans la réalité du jour « mauvais », commettre le même crime en songe engendre le même « remords ».
Or la « vie » du songe est la plus proche de la « vie » d’outre-tombe. Et concluons que tout religion existe en faveur de cette dernière vie. » (Holas 1952, p. 55)
La continuité entre les songes et la vie diurne, tout en justifiant la validité des « rêves prophétiques », est affichée comme un principe moral et religieux central (le passage n’est d’ailleurs pas sans faire penser aux analyses de Lévy-Bruhl sur le rêve). Bouabré, en créant un alphabet bété, a en outre indiqué que plusieurs signes de cet alphabet lui étaient apparus en rêve. Et le premier à s’intéresser à cette invention et à ces « signes rêvées » fut Monod. Il leur consacra notamment un article dans le Bulletin de l’IFAN (Monod 1958) et l’on peut se demander si les « rêves prophétiques » du fonctionnaire ivoirien, ses révélations, ne rejoignait pas, pour le directeur de l’IFAN, sa conception littéraire et religieuse des songes. Holas était passé de la quête d’une clef des songes sénégalaise à l’attrait pour les expériences oniriques des prophètes ivoiriens, d’une conception culturaliste à une focalisation sur leur caractère idiosyncrasique et syncrétique. Monod retrouvait peut-être, dans la « Céleste Vision » de Bouabré, un écho de ses propres songes.
Collecter des rêves soulève des problèmes qui tiennent aussi bien à la spécificité de leur statut énonciatif qu’à la part de violence caractérisant toute tentative d’immersion dans l’intimité d’autrui, particulièrement en situation coloniale. Qu’il s’agisse d’inventorier et de généraliser leurs significations sous forme de clefs des songes ou au contraire de singulariser les rêveurs en les nommant prophètes, un même travail de désubjectivation du domaine onirique est à l’œuvre. Roger Bastide a justement situé dans ces tentatives de rationalisation des rêves, mais aussi de la transe et de la folie, l’horizon métaphorique et mortifère du musée :
« Nous avons apprivoisé nos rêves et leur avons appris à parler le langage de la nature, pour en faire le dévoilement symbolique de notre histoire, et non plus de celle des dieux. […] Ainsi le surnaturel a été partout rejeté en ce sens qu’il est maintenant traduit en d’autres langues, plus satisfaisantes pour notre raison cartésienne, biologique et sociologique ; quand, dans le domaine des institutions religieuses, il risque à certains moments de réapparaître, on le catalogue au plus vite comme une pièce de musée, pour l’enfermer sous une vitrine, chloroformé et dûment catalogué, genre, espèce et nom latin à la rescousse. » (Bastide 2003, p. 20)
Collecter les rêves à la marge de l’IFAN participait à coup sûr à cet apprivoisement problématique, à cette muséalisation inconsciente. Un « Laboratoire de l’imaginaire », tel que l’a précisément imaginé Sow pour l’IFAN du début du 21ème siècle, semble de ce point de vue un espace plus pertinent qu’un musée pour interroger cet intérêt du colonialisme finissant pour les songes des colonisés. Ce qui résista dans ces rêves, ce qui continue de résister, constitue un défi tout à la fois anthropologique et politique qu’il s’agit non de relever, mais bien d’approfondir. On se prend cependant à songer : à l’heure actuelle, les musées africains, à commencer par le musée Théodore Monod d’art africain, ne sont-ils pas mieux armés pour proposer des alternatives à la vision pessimiste de Bastide ? Les réflexions actuelles sur la décolonialisation des musées n’ont-elles pas pour mérite d’inviter à sortir de « la vie dans le rêve d’Autrui » (Tonda 2021), à se réapproprier muséologiquement tout à la fois ses rêves et sa vie ? Ces musées ne sont-ils pas des espaces où il est désormais possible de rêver dans sa propre vie ?
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Le Laboratoire de l’imaginaire, que Sow a souhaité mettre en place au sein de l’IFAN avec Dominique Hado Zidouemba, visait « l’exploration des confins de l’imaginaire, c’est-à-dire celle de l’inconscient aussi » (Sow 2009, p. 564). ↩
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L’IFAN ne devient véritablement opérationnel qu’en 1938, avec la prise de fonction de son premier directeur, Théodore Monod. ↩
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Voir à ce sujet Jézéquel 2007 et 2011, Labrune-Badiane et Smith 2018, p. 592-600. ↩
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Dans Afrodystopie. La vie dans le rêve d’autrui (2021), Joseph Tonda analyse les manifestions des violences coloniales et postcoloniales dans différents rêves diurnes et nocturnes, politiques ou ordinaires, recueillis en Afrique centrale. Il situe dans cet imaginaire onirique compris dans un sens large le lieu d’une aliénation politique, économique et culturelle des populations africaines, interprétant les récits de rêve comme autant de dystopies révélatrices de la part inconsciente des rapports de domination entre les mondes occidentaux et africains. ↩
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Cette conception évolutionniste des religions a depuis été largement invalidée. Elle a cependant eu pour conséquence d’introduire une forme de hiérarchie entre les cultures. Sur l’histoire de l’anthropologie des rêves, voir notamment Spaulding 1981 et Charuty 1996. ↩
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Roger Bastide discute à plusieurs reprises les réflexions de Lévy-Bruhl, les reprenant en partie à son compte. Voir par exemple : « La conception primitive du rêve comme s’identifiant à la réalité et sur laquelle Lévy-Bruhl a tant insisté se retrouve-t-elle encore chez les noirs du Brésil ? Tout dépend du milieu. Et de l’âge. » (Bastide 1950) ↩
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Journal officiel de la Guinée française, 15 décembre 1943. ↩
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En 1940, le couple s’installe à Dakar, Appia se rapprochant sans doute de l’IFAN à cette occasion. ↩
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Ses notes de lecture de ces trois cahiers sont conservées dans le fonds Holas, aux archives du musée du quai Branly-Jacques Chirac. Elles permettent de comprendre la genèse de ses deux articles consacrés aux rêves, publiés dans Notes africaines. Holas consulte également les cahiers que plusieurs élèves ont dédiés aux Lébou. L’intérêt pour les rêves émerge donc dans le cadre de l’enquête sur les Lébou de Balandier et Mercier, à laquelle Holas collabore. ↩
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« Prescription d’une ordonnance divine à Botto Adaye », 26 août 1935, fonds Bohumil Holas, archives du musée du quai Branly-Jacques Chirac. ↩
BibliographieBibliography +
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