Notes Africaines

François Delaunay

Notes Africaines (13’26, 2018), voix : Mamadou Khouma Gueye, enregistrement : Damien Saada, Studio son, l’EESI Poitiers-Angoulême.

Les réserves bibliographiques du service de l’information scientifique de l’IFAN-UCAD rassemblent un ensemble vertigineux de publications qui couvre quatre-vingt ans de recherche, dans des domaines variés (langues et civilisations, sciences humaines, biologie animale, botanique, géologie, muséologie, etc). L’alignement des étagères métalliques, l’odeur puissante de vieux papier, la semi obscurité du lieu, le murmure lointain des voitures sur la route de la corniche ouest, confèrent à l’endroit comme une sensation de temps suspendu. Parmi ces publications, j’ai remarqué Notes Africaines, revue de vulgarisation scientifique parue pour la première fois en 1939 qui fait encore, chaque année, l’objet d’une publication bi-annuelle et d’un numéro spécial.

Ces Notes « publient en français des articles de vulgarisation et des notes d’information accessibles à un large public1 ». Elles sont destinées à « assurer la liaison entre l’IFAN et ses nombreux correspondants disséminés à travers le monde2 ». Après l’indépendance du Sénégal, les orientations thématiques et les formulations scientifiques changent peu même si l’IFAN en 1971 accueille son premier directeur sénégalais, Amar Samb. La logique d’accumulation des savoirs sur l’Afrique, notamment dans le contexte français (Dulucq 2009 ; Sibeud 2002), est conservée.

Notes Africaines, revue de l’IFAN © François Delaunay.

Cette proposition sonore est une lecture des titres des articles de cette revue. La première liste est composée de titres d’articles des années 1949 à 1963 publiés dans une table du numéro trimestriel 100, en octobre 1963. La seconde liste est issue d’une seconde table des notes qui couvre la période de 1964 à 1976. 28 années de publication sont réunies. La concision de ces titres, leur éventuelle dimension poétique, m’ont donné à entendre une sorte de litanie lointaine, peuplée de termes et de bribes de récits qui viennent d’une histoire qui n’est pas la mienne, malgré le fait qu’ils soient en français. Il est probable que peu de Sénégalais dans les années 1950/1970 aient eu connaissance de cette revue. L’utilisation de la langue française était et est restée la norme dans la recherche scientifique. Cheikh Anta Diop a écrit sur cette question, d’autres tentatives ont dû exister. Toutefois, jusqu’à présent, je n’ai trouvé aucune publication scientifique de l’IFAN en wolof, pulaar, sereer, joola, màndienka, sóninké…

La traduction en wolof de ces titres a été effectuée par plusieurs collaborateurs sénégalais (Macodou Ndiaye, Mame Bousso Mbaye, Abdoulaye Keita). Chacun a insisté sur la difficulté, voire l’impossibilité d’une traduction « fidèle » de certaines terminologies scientifiques françaises. Cet achoppement a fait émerger des manques, des contournements, des réinventions, des réappropriations que seuls les locuteurs du wolof pourront apprécier. Certaines de ces traductions sont peut être fantaisistes et corroborent l’expression « Traduire, c’est trahir ». Faire le bilan, à chaque fois que s’engage le processus de traduction, de ce qui résiste, de ce que l’on perd, de ce que l’on gagne, permet de s’approcher au plus près des singularités culturelles. Bien entendu, traduire ces titres d’articles issus de ce contexte historique scientifique engage à réfléchir à la manière dont la recherche scientifique a été pensée et organisée en Afrique francophone, à revenir sur les structures et les conceptions des théories produites par la science coloniale, sur les paradigmes, les terminologies, les systèmes de nomenclature, de taxinomie et de classification de la vie, sur le contexte épistémologique et les cadres institutionnels qui l’ont générée. Comment s’est construit ce lieu d’écriture d’une histoire des sciences en Afrique sur les sociétés africaines comme objet de recherche ? Comment a-t-il été transmis ? Donner à entendre les mots, les sonorités, les phrasés, les rythmes et les timbres du wolof, sur ce qui fut écrit et pensé en langue française, invite à poursuivre les débats méthodologiques et théoriques sur les façons d’appréhender et de connaître l’Afrique, mais aussi sur les manières de penser un espace académique original sur le continent.


  1. Voir le numéro 165, 1980, pp. 27-28 

  2. Voir le numéro 192, 1996, pp. 1-2