TROUBLES DANS LES COLLECTIONS
Pour un partage d’archives : le « 1er Festival mondial des arts nègres », Dakar 1966 Diane Turquety n. 04 En hériter Mars 2023

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Diane Turquety, "Pour un partage d’archives : le « 1er Festival mondial des arts nègres », Dakar 1966", Troubles dans les collections, n. 04, Mars 2023, /numeros/en-heriter/pour-un-partage-darchives-le-1er-festival-mondial-des-arts-negres-dakar-1966/.
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Du 1er au 24 avril 1966, Dakar fut le théâtre d’un événement artistique et culturel panafricain qui attira des milliers de personnes venues du monde entier : le premier Festival mondial des arts nègres. Sous le patronage de l’Unesco, cette vaste manifestation était organisée par l’État sénégalais et la Société africaine de culture, réseau international structuré autour de l’influente revue Présence africaine. L’objectif était ambitieux : le festival se voulait tout à la fois l’expression et le vecteur d’une société nouvelle aux prises avec les promesses des indépendances africaines.

Plus de trente délégations de pays d’Afrique et de leurs diasporas, constituées d’universitaires, artistes, artisans, ensembles nationaux, compagnies de théâtre, formations musicales et cinéastes, ont contribué aux différents événements du festival : un colloque d’une semaine, des expositions d’art contemporain, d’art ancien et d’artisanat, un programme quotidien de projections de films, spectacles de danse, concerts, pièces de théâtre, lectures et galas.

Le 1er Festival est en cela un jalon historique majeur de l’histoire culturelle du continent africain au moment des indépendances. Impulsé par Léopold Sédar Senghor, il relève alors encore d’une histoire commune entre le Sénégal et la France, héritée de la période coloniale, comme en témoigne la très forte implication du gouvernement et du comité français. Plusieurs figures intellectuelles françaises liées au musée de l’Homme et au musée national des arts d’Afrique et d’Océanie ont ainsi participé à l’organisation et la programmation du festival et de la grande exposition d’art africain présentée d’abord à Dakar puis à Paris1. En pleine Guerre froide, enfin, ce rendez-vous panafricain n’a pas non plus échappé aux luttes d’influence des blocs Est/Ouest.

Place de l’Indépendance © Maya Bracher, musée d’ethnographie de Neuchâtel et Enregistrement du colloque du festival © Panafest Archives, musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris.

Une coopération Afrique-Europe pour la recherche

Le projet « Pour un partage d’archives : le “1er Festival mondial des arts nègres”, Dakar 1966 » (FMAN) vise à permettre un accès partagé, géographiquement et juridiquement, aux archives publiques du festival. Il est mené pour une durée de trois ans (2020-22) dans le cadre du labex « Les passés dans le présent », sous la conduite de Sarah Frioux-Salgas, responsable des archives au musée du quai Branly – Jacques Chirac2. Ses actions se déploient à la fois dans le domaine archivistique (cartographie des fonds, description, sauvegarde, numérisation), numérique (guide des sources et dictionnaire en ligne du festival) et de programmation (cycles de projection, journées d’étude, séminaire interdisciplinaire)3.

Les principales archives publiques, papiers et audiovisuelles, du festival, sont dispersées dans différentes institutions. Le projet a permis d’établir une première cartographie des ces fonds qui forme le socle du guide des sources. Au Sénégal, les Archives nationales (ANS) conservent le fonds papier, de loin le plus conséquent. Versé en 1967 par l’Association du festival, il témoigne de l’organisation de tous les aspects de l’événement (programmation, transports, presse, hébergement, etc.). La Radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS) a elle hérité du fonds Radio Sénégal qui a couvert le festival à travers une émission spéciale du Journal parlé ; tandis que la Direction de la cinématographie (DCI) conserve un important fonds photographique (six cents négatifs) et un film des Actualités Sénégalaises réalisé par Paulin Soumanou Vieyra, jusqu’à récemment réputé perdu. En Suisse, au musée d’ethnographie de Neuchâtel, le fonds Jean Gabus apporte un éclairage précieux sur la préparation de l’exposition d’art ancien (Gabus avait été mandaté par l’Unesco pour les missions de prospection des oeuvres4) et sur la conception du musée dynamique destiné à accueillir l’exposition, largement inspirée des principes muséographiques du musée de Neuchâtel. Par ailleurs, des fonds photographiques importants, notamment celui de Maya Bracher, y sont également conservés. En France, enfin, le musée du quai Branly – Jacques Chirac, l’Institut national de l’audiovisuel5 et l’Unesco complètent encore les sources du point de vue de l’exposition d’art ancien, des traces matérielles du festival (prospectus, objets dérivés) et de sa couverture médiatique principalement assurée par l’Office français de coopération radiophonique (OCORA). Les conditions de conservation de ces archives, leur description, accessibilité et, en définitive, leur visibilité pour la communauté scientifique et plus généralement pour les usagères et usagers, sont inégales. Trois critères sont déterminants : la dotation matérielle et humaine des institutions qui conservent les archives ; la typologie des fonds conservés – les sources cinématographiques et radiophoniques constituent ainsi un angle mort de l’histoire du festival6 – ; et le régime juridique appliqué, notamment pour les archives audiovisuelles, qui peut considérablement restreindre l’accès aux documents.

Bobine d’un enregistrement de Radio Sénégal © Archives de la Radiodiffusion télévision sénégalaise, Dakar et Registre papier de l’inventaire de la Radiodiffusion télévision sénégalaise, Dakar (RTS) © Archives de la Radiodiffusion télévision sénégalaise, Dakar.

Plutôt qu’un projet de recherche en tant que tel, le projet FMAN est avant tout une coopération pour la recherche. Cette coopération réside dans l’objectif du projet – un partage d’archives – et dans sa méthode : réfléchir et travailler ensemble, de façon horizontale, aux modalités de ce partage. Car si le projet est par nature transnational, dans les sources et les partenaires concernés qui se répartissent entre l’Europe et l’Afrique, et dans les outils développés qui seront publiés sur internet, son initiative est française et son financement direct s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche également français. A ce titre, et parce qu’il implique des partenaires (institutions patrimoniales et instances de production des savoirs) dont les moyens sont asymétriques, il peut endosser bien des écueils eurocentrés que le recours au numérique pourrait même accroître : la recherche (ses moyens, ses méthodes, ses protagonistes et ses destinataires) sous-entend encore trop souvent la recherche des pays du Nord et un outil, bien que publié en ligne, peut s’avérer être conçu, signalé et donc utilisé essentiellement depuis ces pays7. La gageure principale est donc de veiller aux questions éthiques, juridiques et techniques à l’œuvre afin que le projet n’exproprie pas son objet.

L’accès aux archives : un travail de fond sur les fonds

Quels besoins et pour qui ? Quelles priorités et depuis où ? Un fonds déjà classé, bien conditionné voire déjà numérisé, répondra aux critères de sauvegarde matérielle mais, s’il est trop brièvement ou mal décrit, demeurera totalement invisible. Les institutions européennes n’y échappent pas car elles sont souvent fortement mobilisées en matière de numérisation au détriment parfois de la description et de la documentation (c’est le cas ici des archives audiovisuelles conservées par l’INA). A contrario, un fonds très consulté par les usagères et les usagers peut voir son accessibilité remise en question faute de bonnes conditions de sauvegarde réunies, qu’il devient nécessaire de garantir avant de procéder à une description des documents plus fine et à un plan de numérisation (ici, le fonds des ANS). Notre démarche se situe donc au plus près des sources matérielles, des institutions qui en ont la responsabilité et de leurs publics. Par ailleurs, le développement d’instruments de recherche publiés sur internet à partir de portails dédiés s’accompagne nécessairement de l’intégration de toutes les nouvelles données aux systèmes d’information de chaque institution. L’information ne sera pas seulement disponible ex nihilo pour celles et ceux qui possèdent une connexion, mais aussi in situ. De même, il ne s’agit plus seulement de lancer des plans de numérisation de fonds en péril sans qu’une interface publique locale, nécessitant des postes de consultation, ne soit accessible en salles de lecture pour consulter les catalogues et documents numérisés.

Seule une connaissance concrète des dotations matérielles des partenaires et la mobilisation de leurs compétences permet d’évaluer et mener à bien l’ensemble du processus aboutissant à une mise à disposition des sources autant à distance que sur place : cartographie des fonds, évaluation des besoins matériels de conservation, description, indexation, reconditionnement, alimentation des bases de données. Des étapes pratiques invisibilisées par le résultat numérique final et pourtant nécessaires. De la sauvegarde matérielle à l’interface publique, le projet accompagne la chaîne d’opérations assurée par les archivistes, documentalistes, ingénieur·e·s d’étude et juristes mobilisé·e·s en interne plutôt que d’être assurée par des prestataires ou expert·e·s extérieur·e·s. Le projet a ainsi notamment permis le reconditionnement et l’indexation du fonds conservé aux ANS. L’inventaire a aussi été considérablement retravaillé pour que son degré de précision atteigne celui du sous-dossier. La description, le séquençage, l’indexation et les corrections apportées aux intitulés et dates d’enregistrements conservés par l’INA ont, eux, abouti à la création d’une collection cohérente sur le festival, ce qui améliore l’efficacité des requêtes et donc la visibilité des enregistrements.

Ce volet purement archivistique pourrait contraster à l’ère des humanités numériques. Or, il est au cœur de l’exigence de partage d’archives du projet. L’outil numérique peut en effet, en un sens, être considéré comme l’outil de partage par excellence, mais il ne doit cependant pas se substituer à un accès direct aux sources pour les publics locaux ni supplanter la souveraineté des institutions publiques, qui en ont la propriété et la responsabilité ; au risque de tomber dans le piège d’un « impérialisme numérique »8. Les accès voire les niveaux de descriptions signalés en ligne pourront donc être différenciés selon l’étendue des autorisations délivrées par les ministères de tutelle. Répondre à des besoins techniques et localisés permet de se prémunir d’une forme d’extractivisme qui reviendrait à collecter des données et les centraliser en ligne sans se soucier de leur accessibilité et pérennité, matérielle et dématérialisée, auprès des publics sur place.

Une étape essentielle du projet, et qui rejoint cet impératif d’accessibilité des sources sur place afin de lever aux maximum les freins à la recherche, est la mise à disposition de la collection d’enregistrements OCORA conservée et numérisée par l’INA depuis des postes dédiés situés à la Bibliothèque centrale de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Le système d’information de la BU a importé l’ensemble des métadonnées attachées aux enregistrements à présent intégrés au catalogue interne de l’établissement. Cette convention inédite passée entre l’INA et l’UCAD a constitué un leitmotiv qui a occupé toute la durée du projet. Elle représente le premier jalon d’une mise à disposition d’autres documents produits par l’audiovisuel public français et intéressant l’histoire du continent africain. Car ces enregistrements, comme le l’analyse Flora Losch, sont jusque-là très difficilement accessibles et, en pratique, le sont quasiment depuis la France exclusivement9.

Vers un renouvellement de l’historiographie du festival

Le projet FMAN cherche à identifier et décrire de manière cohérente les archives publiques du festival. En cela, il s’intéresse notamment à deux types de sources rarement signalées et donc jusque-là documentées : les archives radiophoniques et cinématographiques. Ce projet participe donc aussi à l’enrichissement, voire à la constitution d’une (autre) archive du festival en exhumant de ces sources leurs voix délaissées10.

L’Office français de coopération radiophonique (OCORA) a couvert toute la durée de l’événement, soit soixante heures d’enregistrement : interviews, reportages, captations de spectacles, conférences de presse, discours. Radio Sénégal a également produit une série d’émissions spéciales consacrées au festival – environ dix heures. Ces sources radiophoniques sont exceptionnellement riches pour une histoire renouvelée du festival. Les individus interviewés – directeurs d’ensembles nationaux, musicien·nes, artistes – se retrouvent en effet rarement parmi les producteurs d’archives papiers conservées dans les fonds publics répertoriés. Le travail de description et d’indexation précis des fonds radiophoniques conservés à l’INA et à la RTS permet d’identifier les acteurs et actrices du festival, leurs noms, leurs rôles, leurs démarches et leurs affects. La source radiophonique permet d’aller au-delà des intentions et du programme de l’événement en donnant un accès direct à son déroulé, ses imprévus et sa dimension émotionnelle. Les impressions sont souvent recueillies sur le vif et la nature des sujets traités diffère selon la rédaction, le journaliste et la personne interviewée. S’offre alors toute la mesure des écarts entre les représentations mentales qui reflètent, autant qu’elles constituent, une époque, un pays et une subjectivité. Des écarts de sensibilités plus manifestes encore lorsque la parole donnée aux protagonistes du festival complexifie voire contredit les attentes des journalistes qui les interrogent. « Rien ne vaut [donc] que d’être parlé par soi-même et de soi-même11 » et les archives orales, en cela, offrent un contrepoint inédit aux archives écrites plus normatives. La source radiophonique permet de faire une histoire sensible du festival qui est aussi, et selon un prisme différent des sources officielles, une histoire politique de l’événement12.

Le volet cinéma du festival a par ailleurs été très peu étudié. A travers ce projet, la programmation quotidienne des films – plus de soixante – qui s’est tenue dans le cadre du festival aux cinémas Palace et Liberté de Dakar a été reconstituée ; bien au-delà donc, des vingt-deux films de la sélection officielle et des huit primés. L’identification de ces films et la localisation de leurs copies a été menée. Une première analyse de cette liste, croisée avec les informations collectées dans les archives, offre une idée plus précise de ce volet cinéma notamment son organisation logistique (le rôle du comité italien était prépondérant dans l’aspect technique et la remise des prix), son processus de sélection (cent-vingt films reçus de plus trente pays) et en matière de pays et genres finalement représentés.

Le focus sur ces deux types de sources s’accompagne d’une réflexion plus large menée à travers les actions de valorisation du projet. Une première session de journées d’étude et un cycle de programmation de films se sont tenus en septembre 2021 à Paris. « Replay ! Dakar 66 » s’est intéressé au rôle des sources radiophoniques dans le renouvellement de l’histoire culturelle africaine et au volet cinéma du festival (archives identifiées et programmation)13.

La seconde session, « Partages d’archives », a eu lieu à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) à Dakar, fin mai 202214. Temps fort de restitution pour chacun des partenaires réunis autour de ce projet commun, elle a aussi été l’occasion, à travers un séminaire interdisciplinaire qui a rassemblé professionnel·les du patrimoine écrit et audiovisuel, membres du comité scientifique15, jeunes réalisateur·trices de Ciné Banlieue et de Ciné UCAD, étudiant·es journalistes radio du Cesti, de l’EBAD (École de Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes) et du département Histoire de l’UCAD, d’interroger les modalités d’accès aux archives tout support, identifiées sur le festival et, au-delà, celles sur l’histoire coloniale et postcoloniale du Sénégal.

Séminaire Partages d’archives, 2ème jour, salle atelier UCAD, Dakar, mai 2022.

La mise en regard du travail quotidien mené par les archivistes d’institutions qui rarement se retrouvent à dialoguer autour d’une même table, avec les démarches de tel ou tel universitaire, documentariste, journaliste radio, étudiant·e ou cinéaste, a permis d’expliciter à la fois les intérêts, parfois divergents (du moins dans leurs temporalités), des différentes parties ; mais aussi les possibilités et impossibilités des institutions patrimoniales publiques. Si les cadres juridiques et les volontés politiques nationales sont évidemment déterminants concernant les délais de communicabilité des archives, et plus généralement la considération portée ou non aux archives publiques en tant que service citoyen ; il convient de rappeler et distinguer les freins techniques de ceux relevant de gouvernances et choix propres à un établissement patrimonial. Pour la RTS par exemple, la direction du patrimoine a pointé la difficulté à se procurer le matériel de lecture ou de numérisation adapté, devenu rare et coûteux, à nombre de leurs supports audiovisuels désormais obsolètes. Obstacle qui ne se présente pas côté INA, qui exploite et monnaie ses archives numérisées et semble, pour le coup, empêché par ses propres options politiques. À ce jour, aucun travail de recensement, de documentation et de mise à disposition n’a exhaustivement été mené sur les archives de son fonds africain, ou plus largement, colonial. Ainsi, « assurer leur rapatriement numérique complet, juridiquement organisable, relève du choix.16 » Une démarche qui n’est pour le moment mise en œuvre qu’au compte-goutte (en témoigne ce projet) à la différence du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui a non seulement travaillé sur son fonds colonial mais aussi opté pour un partage de ses films avec, côté Asie, l’Institut du cinéma vietnamien17. Gageons que l’implication active des partenaires (leurs équipes et directions) réunis fin mai à l’UCAD, et le travail conjointement mené par la BU de l’UCAD et l’INA pour mettre à disposition un premier ensemble d’enregistrements OCORA désormais consultables depuis Dakar, fasse jurisprudence.

Affiche de l’événement « Replay ! Dakar 66 », Paris, septembre 2021, musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris. Affiche de l’événement « Partages d’archives. Le premier festival mondial des arts nègres de Dakar, 1966 », Dakar, mai 2022 © Camille Gruppo.

D’un point de vue épistémologique, les histoires nationales, artistiques et culturelles des pays participants ont bien souvent été occultées par la dimension panafricaine et, en un sens, surplombante du festival. Il s’agit donc d’opérer un mouvement inverse : du haut vers le bas, du panafricain au national, des représentants officiels aux représenté·e·s, qu’ils et elles soient artistes, collectifs ou œuvres. L’outil développé à cette fin est un dictionnaire en ligne conçu comme une plateforme de présentation critique des acteurs, actrices et événements du festival. Chaque entrée – participant·e, événement, organisme – recensée à partir de l’indexation des fonds, renvoie vers les documents d’archives correspondants et une bibliographie critique. Le dictionnaire offre ainsi les conditions pour des interprétations partagées et décentrées de l’histoire du festival et plus largement de l’histoire culturelle du continent. Les près de 1 000 fiches existantes constituent désormais un socle déjà très exhaustif qui pourra encore être complété par le recensement des œuvres exposées ou encore l’ajout de cartographies interactives.

Le dictionnaire s’appuie sur des sources issues de fonds institutionnels, or, comme l’a souligné Ndiouga Benga au cours du séminaire, d’une façon générale, pour parer à l’univocité des récits et également aux accès différenciés aux archives selon leur support et institution de conservation, il est nécessaire de croiser et multiplier les sources qui se suppléent entre elles. Un fonds radio peut relayer un fonds papier lacunaire ou du moins, pour un temps encore, inaccessible, et réciproquement. D’où l’importance de cet instrument élémentaire qu’est le guide des sources, rédigé dans le cadre de ce projet. D’où l’importance, aussi, des actions de sensibilisation auprès des publics afin de faire connaître ces fonds. L’association culturelle MamiWata mais aussi le Fonds Archives ASM à Dakar poursuivent un travail primordial de sauvegarde, documentation et valorisation du patrimoine photographique et cinématographique sénégalais auprès du grand public et des scolaires. L’une, partenaire du projet FMAN, a été à l’initiative de l’exposition photo Li Bët Mënul Woon Gis – L’image manquante, présentée au musée Théodore Monod en 2021, et l’autre a organisé l’exposition consacrée au photographe Abdou Fary Faye en mai 2022. Par ailleurs, dans le cadre de ce projet et au moment de la Biennale de Dakar, une sélection de photographies du festival a été présentée à la BU de l’UCAD. Surtout, poursuit N. Benga, un immense chantier est encore à mener sur la collecte de témoignages et documents privés pour ajouter à ces multiples récits possibles composant une histoire du Sénégal, ceux constituant une histoire populaire qui pourrait se traduire en des des formats de valorisation eux-mêmes puisés hors du répertoire institutionnel classique (bandes-dessinées, podcasts, films, etc.).

« Pour un partage d’archives : le “1er Festival mondial des arts nègres”, Dakar 1966 » s’est fixé ainsi pour principe – et dans son objectif et dans les modalités de la coopération en tant que telle – de forger de nouvelles relations d’échange autour d’une histoire commune : faire ou refaire circuler à parts égales les sources publiques du festival afin de faciliter l’écriture de contre et multi-récits sur son histoire complexe, et celle du continent africain, au lendemain des indépendances. Autrement dit, « retrouver sous les archives de l’invention de l’Afrique, les archives qui sont les siennes18 ». Alors que la question de l’ouverture d’archives de la colonisation et de la décolonisation, voire de leur restitution, est en débat, le projet FMAN y prend part à sa manière.


  1. Les documents produits et/ou collectés par Michel Leiris, Jacqueline Delange, Georges Henri-Rivière ou encore Pierre Meauzé, ont intégré les archives du musée de l’Homme et du musée national des arts d’Afrique et d’Océanie dont a hérité le musée du quai Branly – Jacques Chirac. 

  2. Le musée, en tant que membre pilote du labex Les passés dans le présent, est porteur du projet. Cette institution, en plus des fonds historiques déjà mentionnés, a reçu en 2019 le don de la Panafest Archive constituée par Dominique Malaquais et Cédric Vincent sur les quatre grands festivals panafricains des années 1960-70. Le musée a aussi organisé deux expositions qui ont apporté un éclairage sur l’histoire du festival : « Présence africaine : une tribune, un mouvement, un réseau » (2009, curatée par Sarah Frioux-Salgas) et « Dakar 66. Chroniques d’un festival panafricain » (2016, curatée par Dominique Malaquais, Cédric Vincent et Sarah Frioux-Salgas). 

  3. Pour plus d’informations sur le projet, les partenaires, le comité scientifique, les activités menées et les ressources en ligne, voir le carnet de recherche FMAN – Une histoire culturelle du continent africain

  4. Voir Cédric Vincent, « ‘The Real Heartof the Festival’: The Exhibition of L’Art nègre at the Musée Dynamique », in David Murphy (dir.), The First World Festival of Negro Arts, Dakar 1966. Contexts and Legacies, Liverpool, Liverpool University Press, 2016, pp. 45-63. 

  5. Ces institutions sont partenaires du projet. 

  6. Et ce, que les fonds soient conservés en France à l’INA ou au Sénégal à la RTS et à la DCI. 

  7. Ce projet n’y échappe pas puisque le guide des sources du festival sera publié sur le portail du ministère de la culture, FranceArchives, à ce jour la solution d’hébergement qui offre le plus de garanties en termes de fiabilité et pérennité. Le Dictionnaire du festival est lui hébergé sur un domaine de la TGIR-huma-num, infrastructure mise en place par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche français. 

  8. Selon les mots de Peter Limb « Twenty-first century missionaries carry not Bibles but scanners », cité par Fabienne Chamelot, Vincent Hirribarren et Marie Rodet, « Archives, the Digital Turn, and Governance in Africa », History in Africa, vol. 47, juin 2020, pp. 101 – 118, <https://doi.org/10.1017/hia.2019.26> ; voir aussi Vincent Hirribarren, « Tournant archivistique et tournant numérique en Afrique », Sources, n° 1, 2020. Merci à Sarah Frioux-Salgas de m’avoir signalé ces références. 

  9. Voir l’article Flora Losch, « Les fonds africains de l’Institut national de l’audiovisuel, entre angoisse épistémologique et potentiel historiographique », French Colonial History, 2022. 

  10. Si elle s’appuie sur des archives existantes, notre démarche fait néanmoins écho à celle du projet Panafest qui, avec la production de nouvelles archives sur le festival (témoignages recueillis) a aussi donné la parole à des protagonistes invisibilisé.e.s par les archives officielles. Voir Dominique Malaquais, Eloi Ficquet, Malika Rahal et Vincent Cédric, « Panafest : une archive en devenir », in Archive (re)mix. Vues d’Afrique, Presses Universitaires de Rennes, 2015, pp. 209-228 et le web documentaire PANAFEST Archive

  11. [Interview] Jules Travelé : le Mali au festival mondial des arts nègres, Dakar 1966, 11’, notice nº PHD86071375, OCORA, INA. Les enregistrements relatifs au festival sont désormais regroupés sous la collection INA « Festival mondial des arts nègres » : https://fman.hypotheses.org/635

  12. Sur la question des sensibilités dans les sciences sociales, voir notamment la revue semestrielle Sensibilités. Histoire critique & sciences sociales, lancée par Quentin Deluermoz, Christophe Granger, Hervé Mazurel et Clémentine Vidal-Naquet, éditions Anamosa. 

  13. Les captations vidéo sur la chaîne YouTube du musée. La partie sur les archives radiophoniques ici et , et la partie sur les archives cinématographiques ici et

  14. Une émission de La Marche du Monde sur RFI a été consacrée à cet événement le 3 juin 2022, « Sénégal: partager les archives, construire la mémoire », à écouter ici

  15. Ndiouga Benga et Ibrahima Wane (UCAD), Baba Diop (Ciné Banlieue), Tiziana Manfredi et Marco Lena (DCI), Mamadou Diouf (Columbia University), Flora Losch (EHESS), Géraldine Poels (INA), Zahia Rahmani (INHA), Anna Seiderer (Paris 8). 

  16. Flora Losch 2022. Voir aussi son article « Penser le rapatriement du patrimoine audiovisuel africain avec la Recommandation de l’Unesco de 1980 : les apports d’un vieux débat intergouvernemental (1974-1991) », Politique africaine, n. 165, 2022, pp. 167-186. 

  17. Id. 

  18. Conclusion du séminaire « Partages d’archives » par Mamadou Diouf, UCAD, Dakar, 27 mai 2022. L’invention de l’Afrique fait référence à l’ouvrage éponyme (1988) du philosophe congolais Valentin-Yves Mudimbe, où il analyse le rôle de « la bibliothèque coloniale » dans la construction occidentale de l’Afrique sud-Sahara.