Résumé : La collection photographique héritée de l’IFAN et conservée à la bibliothèque du Centre Béninois de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (CBRSI), ex-IFAN, est un fonds très riche, constitué pour l’essentiel d’images traitant de l’histoire et des réalités culturelles du Bénin et de l’Afrique de l’Ouest. Ce fonds, qui se rapporte à plusieurs pays africains, se trouve dans un état de profonde dégradation. Cette situation peu reluisante est la conséquence du faible intérêt que les autorités centrales et locales lui ont porté depuis que le Bénin en a hérité. Ce fond photographique connaît à l’heure actuelle une situation critique, car il est menacé par la décomposition matérielle de ses supports soumis à de mauvaises conditions environnementales et à des méthodes d’archivage inadéquates.
La Bibliothèque du CBRSI
Créée en 1943, la Bibliothèque du CBRSI annexe de Porto-Novo est abritée dans le bâtiment de l’ex-IFAN, situé au quartier Oganla en face de l’Assemblée Nationale du Bénin. Elle conserve des collections très anciennes d’ouvrages et de périodiques composées de plus de 6000 monographies, de mémoires, de 37 encyclopédies, de 5 bottins encyclopédiques (annuaires téléphoniques), de dictionnaires, de numéros d’Etudes Dahoméennes, des Bulletins de l’IFAN, de Présence Africaine ou de quelques autres titres de périodiques morts, ainsi que de publications grand public de l’IFAN puis du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESR). Elle conserve également une photothèque qui compte environ 2 000 photographies et dont il sera question plus loin. L’histoire de cette collection a amené ses premiers responsables à l’appeler « bibliothèque de recherche à caractère d’archive ». Sa mission principale consiste à collecter, traiter, conserver et diffuser les informations scientifiques.
Afin de permettre l’accès aux documents, toute bibliothèque ou centre de documentation doit se doter d’outils de recherche. On remarque l’absence de registre d’inventaire pour les documents arrivés au centre depuis 1986. La Bibliothèque du CBRSI annexe de Porto-Novo a cependant élaboré des répertoires pour les mémoires et les Études dahoméennes. Il existe par ailleurs un répertoire bibliographique des monographies héritées de l’IFAN, constitué de fichiers matières et de systèmes de localisation. Les informations descriptives saisies dans le répertoire sont : la cote, le titre, l’auteur, l’éditeur, la date, et enfin les mots clés. La Bibliothèque du CBRSI annexe de Porto-Novo ne dispose pas de langage d’indexation pour le choix des descripteurs, et recourt plus volontiers au langage libre. Les cotes des documents ne figurent malheureusement pas dans la base de données. Il est dès lors impossible de retrouver physiquement les documents après une recherche dans le fonds. De plus, le transfert dans les années 1990 d’une partie des collections aux Archives et à la Bibliothèque Nationale, a contribué à sa désorganisation.
Il est important de signaler que les conditions matérielles de conservation des collections sont très insatisfaisantes. Les documents sont empilés les uns sur les autres et livrés à la poussière. Ils souffrent de jaunissements, de déformations, d’oxydation, de palissements et/ou de déchirures. Le traitement physique de ces documents se limite à leur nettoyage et à leur dépoussiérage. Si le centre bénéficie parfois d’aides de l’Ecole du Patrimoine Africain (EPA) pour le nettoyage et l’entretien des collections, celles-ci ne sont pas suffisantes pour des collections de cette importance.
La communication des documents se fait uniquement en consultation sur place. Elle est subordonnée à la présentation de la carte d’identité nationale valide. Le registre de la Bibliothèque témoigne néanmoins qu’elle a subi une baisse de fréquentation ces quatre dernières années. La Bibliothèque a reçu 61 visiteurs en 2019, 52 en 2020, 31 en 2021 et 19 en 2022. Ainsi, le centre attire de moins en moins les usagers, en dépit de la richesse de ses collections. Il se pose donc un problème de mauvaise politique de communication.
Le fonds photographique à la bibliothèque de la CBRSI
Qu’en est-il des archives photographiques du CBRSI, et comment les conserver et les valoriser ? Aux termes de l’article 2 du décret N° 2007-532 du 02 novembre 2007 portant attribution, organisation et fonctionnement des Archives Nationales, « les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient la nature, la date, la forme et le support matériel, élaborés ou reçus par une personne physique ou morale de droit public ou privé, dans le cadre de son activité. Ces documents sont organisés et conservés à des fins scientifiques, administratives et culturelles ». Inventée dans les années 1820 par Nicéphore Niepce, la photographie produit néanmoins des archives un peu particulières, qui ont fait l’objet de nombreuses analyses (Aubenas 2007, Arnaud 2009, Cacaly 2005), et dont la conservation pose des problèmes spécifiques.
Au Bénin aujourd’hui, il est difficile voire impossible de se servir de ces images anciennes pour des travaux de recherche ou pour d’autres usages. Ogou Franck, dans son mémoire intitulé « Archives photographiques au Bénin : Problématique de la gestion d’un patrimoine documentaire menacé » (2004), posait de façon un peu provocatrice la question suivante : faut-il que les témoignages que nous ont laissés les générations passées comme ceux que nous laisserons aux générations futures soient matériellement préservés ? Cet état de chose est dû à l’inexistence d’une stratégie pouvant permettre de gérer ces fonds ou l’inexistence d’une politique de mise en valeur des archives photographiques. Et si rien n’est fait contre la détérioration des supports, le trafic illicite, la possibilité d’écrire l’histoire est menacée d’être dépossédée d’une partie sensible de ses sources. Malgré toutes les dispositions contenues dans la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, la loi N° 91-006 du 25 février 1991 portant charte culturelle en République du Bénin et l’article 4 de la Convention du Patrimoine Mondial qui font de l’Etat le dépositaire de l’identité culturelle, il est fréquent de voir les archives photographiques, qui constituent une partie de l’identité culturelle et une source pour l’écriture de l’histoire, dans les mains de particuliers1.
Les photographies conservées par le CBRSI sont le résultat des travaux de terrain des photographes et chercheurs français (Pierre Verger, Clément da Cruz, Gustave Labitte, André Cocheteux, A. Martin, Jean Dresh, J. Roussy, Paul Mercier, André Villiers, Jacques Lombard, Raymond Guitat). Ce sont des positifs en noir et blanc fixés sur des fiches cartonnées format A4 avec des agrafes. Sur ces fiches, sont mentionnés l’auteur, le titre, et parfois la date de prise de vue. Toutes ces informations sont fournies, dans la mesure du possible, à partir des œuvres elles-mêmes le plus souvent, car les outils d’identification sont inexistants. Le travail s’est fondé sur les recommandations de description des documents iconographiques en l’occurrence la norme concernant les images fixes (Z 44-077), publiée en 1997. Malgré ce début de mise en valeur par identification, ce fond photographique n’est toujours pas traité aujourd’hui.
Pierre Verger, « Coin de marché », photographie fixée sur carton, non datée, Porto-Novo, Centre Béninois de la Recherche Scientifique et de l’Innovation, n° 543.
Pierre Verger, « Ogoun – Joueur de flûte – Téré », photographie fixée sur carton, non datée, Porto-Novo, Centre Béninois de la Recherche Scientifique et de l’Innovation, n° 3346.
En effet, il n’existe jusqu’à présent pas d’inventaire qui permettrait d’accéder et de valoriser les photographies du CBRSI. L’absence de ressources humaines, matérielles, techniques et financières explique cette situation. Vu l’importance et la richesse culturelle des photographies, la réorganisation de ce fonds est un besoin impérieux. Nous rappelons donc la nécessité d’un archivage rigoureux pour conserver et identifier les archives.
La bibliothèque du CBRSI ne conserve par ailleurs pas ce fond photographique dans de bonnes conditions. Les photographies sont actuellement rangées dans des tiroirs métalliques couverts de poussière, de traces d’humidité et parfois de taches de rouille, etc. La réserve où ils sont entreposés subit de grandes variations climatiques en raison de l’insalubrité du bâtiment, la toiture en particulier. Or, les facteursenvironnementaux ont des effets sur l’état des photographies, qui sont par exemple attaquées par des agrafes aujourd’hui rouillées. Il serait essentiel de parvenir à maîtriser et stabiliser la température, l’éclairage, l’humidité relative (HR) et la qualité de l’air. Leurs variations entraînent non seulement une accélération des processus chimiques, mais provoquent aussi un assèchement par évaporation ou au contraire une humidification des documents photographiques. Ils sont en effet constitués de différentes couches de matériaux, et en raison de la dilatation ou du rétrécissement de certaines couches, celles-ci peuvent se détacher, et le papier gondoler ou se déformer. Théoriquement, plus la température est basse, mieux les documents photographiques sont conservés. Mais la température doit toujours être combinée avec l’humidité relative de l’air. Plus la température est basse, plus l’humidité relative est basse et l’air est sec, ce qui n’est pas toujours optimal pour la conservation de certains types de documents photographiques. Un degré d’humidité relative trop faible peut provoquer un dessèchement des objets. Les émulsions se craquèlent, la colle et le papier deviennent friables. Un degré d’humidité relative trop élevé favorise au contraire l’apparition de moisissure et accélère la dégradation chimique. Une humidité relative de plus de 50-55 %, combinée à une température élevée, est toujours nuisible pour tout type de document photographique. Il conviendrait également de prêter attention à la qualité de l’air. Celui-ci peut être pollué par la poussière, des moisissures ou des substances telles que l’ozone, le formaldéhyde, le sulfure d’hydrogène, les composants sulfuriques, les composants azotés, etc. La pollution entraîne principalement une hausse du taux d’acidité de l’air et, par conséquent, du risque de corrosion chimique2 pour les documents.
Jacques Lombard, « Une potière d’Abomey », photographie fixée sur carton, non datée, Porto-Novo, Centre Béninois de la Recherche Scientifique et de l’Innovation, n° 2612.
André Villiers, « Bords de l’Ouémé », photographie fixée sur carton, non datée, Porto-Novo, Centre Béninois de la Recherche Scientifique et de l’Innovation, n° 951.
Mettre en place un système d’épuration à filtres en carbone actif permettrait d’éliminer les facteurs de pollution de l’air. Il s’agirait aussi de tenir compte du fait que la peinture, les produits d’entretien, la laine, les matériaux de construction ou les documents photographiques eux-mêmes peuvent dégager des gaz délétères : assainir l’air ambiant est une nécessité. Il faudrait enfin pouvoir contrôler la lumière naturelle et la lumière artificielle directe non filtrées, qui abîment toutes les formes de documents photographiques, en raison des rayons UV.
Un essai d’exposition photographique au CBRSI
Les collections photographiques étant quantitativement importantes (2000 tirages), seuls quelques ensembles ont été exposés. Ainsi, 20 photographies de Pierre Verger et André Cocheteux, deux photographes chercheurs de la période coloniale, ont été exposées lors des Journées de la Renaissance Scientifique de l’Afrique (JRSA) organisées chaque année au mois de juin par le CBRSI. Elles ont permis d’illustrer une réflexion sur les techniques de construction des habitations des années 1940 à aujourd’hui, l’exposition portant sur les « Matériaux locaux et adaptation aux conditions climatiques ».
Ce principe d’exposition prend tout son sens et sa valeur dans un contexte où la bibliothèque du CBRSI entame une réflexion sur un nouvel aménagement de ses locaux, et notamment sur la création d’une salle permanente d’exposition. Une exposition de ce type pourrait être ensuite intégrée au site web de la bibliothèque qui devrait logiquement exister aujourd’hui. Ceci permettrait de prolonger l’exposition au-delà de sa présentation matérielle nécessairement limitée dans le temps pour des raisons de conservation. Cela permettrait surtout de faire connaître au public la richessede la bibliothèque du CBSRI et d’apporter une notoriété au Centre en réinsérant pleinement la bibliothèque dans une histoire culturelle.
L’intérêt pour les collections photographiques n’est plus une nouveauté, mais continue de croître. Après avoir longtemps souffert d’un manque d’intérêt de la part des usagers et des personnels des bibliothèques, les collections iconographiques doivent être mises en valeur à travers leurs traitements et leurs valorisations.
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La Charte culturelle, qui énonce les principes de la politique culturelle nationale, a fait de l’Etat béninois le premier responsable de la sauvegarde et de la valorisation du patrimoine, tout en soulignant l’importance de la diversité culturelle du pays. Sur ce point, voir notamment Agbaka 2017. ↩
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Ce qui explique le jaunissement et l’impact de l’humidité observés sur les figures 3 et 4.e constituée dans le contexte de la colonisation, en la complexifiant par la dimension du genre. ↩